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vendredi 17 juillet 2015

Pourquoi l'euro est-il l'instrument de la domination allemande ?



Il n'est pas utile de revenir sur le détail de l'accord effroyable conclu entre le Grèce et ses créanciers le week-end dernier. Tout en a été dit ou presque. Il vient d'être voté à l'unisson par les différents parlements nationaux, alors même que tout le monde, d'Alexis Tsipras à Wolfgang Schäube en passant par le FMI et des économistes du monde entier, s'accorde à dire qu'il n'est pas viable. C'est d'ailleurs bien normal puisqu'il ne s'agit pas d'un véritable accord pour secourir la Grèce. Il s'agit au contraire de la mise en coupe réglée d'un pays vaincu, auquel on souhaite ne laisser aucune chance de rétablissement. Paradoxal, en plein cœur de « l'Europe-c'est-la-Paix ». Mais le ministre slovaque des finances Peter Kažimír a imprudemment vendu la mèche sur Twitter en avouant - avant d'effacer son tweet – que si l'accord obtenu était particulièrement dur pour Athènes, c'était parce qu'il venait sanctionner le « Printemps grec ». Pas d'accord donc, mais un châtiment. Une expédition punitive conduite par des idéologues violents. Par des « terroristes » avait lancé Yanis Varoufakis. Cela avait provoqué un tollé. On sait désormais qu'il exagérait à peine.


Il peut être utile, en revanche, de revenir sur les enseignements que cet « accord » a livrés. Il est désormais clair, par exemple, que le projet d'Alexis Tsipras consistant à combiner la réhabilitation de la démocratie en Grèce, la fin de l'austérité et le maintient dans l'euro relevait de la quadrature du cercle. En refusant d'envisager le Grexit, le premier ministre hellène se condamnait mécaniquement à renoncer à ses deux autres ambitions.  

Extrait d'un article paru sur le Figarovox. Pour lire la suite, CLICK


samedi 11 juillet 2015

Steve Ohana : "rien n'impose de faire payer le défaut grec aux contribuables"




Dessin de Soulcié



Steve Ohana est économiste. Il est l'auteur de Désobéir pour sauver l'Europe, un ouvrage très clair, très pédagogique sur l'Union européenne et sur la zone euro. 

Au soir des résultats du référendum en Grèce, il était invité sur i24news, une chaîne de télé israélienne en plusieurs langues, un peu l'équivalent de notre France24. 
Je mets un lien vers cette émission, qu'il faut voir absolument. Ça donne une idée de la manière dont peut être traitée la question dans un pays non européen. Il faut écouter tout ce qui s'y dit : sur la Grèce, sur l'Allemagne, sur l'Europe telle qu'elle évolue et sur les dangers dont elle est porteuse. Les trois intervenants sont sur la même ligne, mais leur unanimité est l'exact opposé de celle que l'on constate dans les médias français. C'est assez incroyable, et c'est au bout de ce lien : CLICK CLICK

***

A un moment de la vidéo, Steve Ohana explique qu'une restructuration de la dette grecque serait finalement tout à fait absorbable pour l'Europe. Je lui ai demandé de préciser ce point et je poste ici sa réponse. On le voit, si l'Allemagne refuse de céder sur ce point, ce sera uniquement pour des raisons idéologiques et/ou de politique intérieure, en aucun cas pour des raisons de rationalité économique. Voici donc quelques explications/rappels sur la dette grecque. 

Q : Vous avez dit dans une récente émission (i24) qu'un défaut de la Grèce ne serait finalement pas si grave étant donnés les montants en jeu. En cas de défaut, au bout du compte, qui paierait quoi ? Quel serait l'impact sur les différents pays de la zone euro ? 

R : Il y a plusieurs formes d'exposition à la Grèce: 

- la première, la plus simple, est celle qui découle des prêts bilatéraux faits en 2010 par les différents pays (53 milliards), 

- la seconde est celle qui découle des prêts du FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) faits lors du deuxième sauvetage (un peu plus de 140 milliards). L'Allemagne et la France contribuent au FESF à hauteurs respectives de 27% et 20%.
On arrive à 195 milliards en agrégeant prêts bilatéraux et prêts du FESF: 42 milliards pour la France, 56 milliards pour l'Allemagne.

- la troisième est celle qui découle des dettes publiques grecques acquises par la BCE sur les marchés : elle détient aujourd'hui un montant estimé à un peu plus de 25 milliards d'obligations grecques. En cas de défaut, les banques centrales nationales (et donc finalement les gouvernements nationaux) prendraient les pertes à hauteur de leur poids dans le capital de la BCE (18% pour la Bundesbank, 14% pour la Banque de France etc.). Autour de 5 milliards de pertes pour la France et l'Allemagne.

- la quatrième est celle qui découle du système de prêts entre banques centrales appelé "TARGET2". Ces prêts sont destinés à compenser des transferts de dépôt d'un pays à un autre au sein de l'Union Monétaire (par exemple si un Grec transfert ses dépôts d'une banque grecque vers une banque allemande, il y aura un prêt du même montant de la Bundesbank à la Banque de Grèce). On estime l'exposition globale des banques nationales non grecques à un peu moins de 120 milliards d'euros. La perte pour l'Allemagne s'élèverait à environ 30 milliards d'euros en cas de défaut, celle pour la France à environ 25 milliards.

- la cinquième exposition découle des prêts du FMI, dont les Etats membres de l'euro sont actionnaires. Le FMI n'a prêté que 30 milliards environ à la Grèce donc ces expositions sont négligeables par rapport au reste.

Au final, on arrive à une exposition globale de 340 milliards d'euros du reste de la zone euro à la Grèce, dont un peu moins de la moitié est portée par la France et l'Allemagne (environ 90 milliards pour l'Allemagne et 75 milliards pour la France) plus 63 milliards pour l'Italie et 43 milliards pour l'Espagne.

Mais l'impact d'un Grexit (NB : dont la perspective semble aujourd'hui s'éloigner) ne se limite évidemment pas à ces montants. Le coût principal sera la perte du capital de confiance dont dispose la monnaie unique : le tabou de l'irréversibilité de la monnaie unique sera brisée, les déposants craindront de voir leurs dépôts convertis en monnaie domestique du jour au lendemain, les investissements dans les pays périphériques seront dissuadés, les partis eurosceptiques pourraient être galvanisés etc.

Un défaut grec à l'intérieur de l'euro serait beaucoup moins coûteux : il serait limité aux 200 milliards de prêts bilatéraux/FESF et pourrait être amorti sur une très longue période plutôt que pris sous la forme d'une perte sèche. La perte s'élèverait à un peu plus de 2% du PIB pour la France et l'Allemagne. Mais en fait, rien n'impose à ces pays de faire assumer cette perte aux contribuables immédiatement. Ils se financent aujourd'hui à moins de 1% par an. Ils peuvent donc offrir à la Grèce des prêts à taux 0 avec un coût extrêmement modeste pour le contribuable. Par exemple, pour la France, le coût est de 1% * 42 milliards, soit 420 millions d'euros (à peine plus de 6€ par an par Français).


vendredi 10 juillet 2015

Les propositions grecques et la "capitulation" de Tsipras

 
 

 
 
Voilà que tout le monde parle (à nouveau !) de "capitulation" de Tsipras. Nos européouistes sont incorrigibles !
 
A ce stade, il semblerait plutôt raisonnable :

1) D'attendre

Il faut d'abord voir si l'Allemagne va accepter à son tour faire un geste substantiel au sujet de la restructuration de la dette. Le rapport du FMI paru jeudi dernier et concluant à l'insoutenabilité de la dette grecque plaide très fort dans ce sens. Les "Européens" ont essayé de faire en sorte que ce rapport ne paraisse pas mais... il est paru. Dès lors, il était évident qu'il pèserait dans la négociation. 
Pour autant : 
       1/ si les concessions allemandes sont trop peu généreuses, il sera compliqué pour Tsipras de faire voter le plan par sa majorité actuelle. Il n'est pas du tout certain que les députés de la Plateforme de gauche acceptent de voter un programme d'austérité sans contrepartie,
       2/ si les concessions allemandes sont trop généreuses, il sera compliqué pour Merkel de le faire voter par le Bundestag.
Ça va donc encore bouger, même au delà de la semaine prochaine. Ainsi donc, si la zone euro ne se dissout pas cette fois-ci, elle aura été passablement bousculée. L'étau se desserre lentement mais sûrement : patience.

2/ De ne pas juger Tsipras trop durement
 
Il a tenu tête comme un chef, alors qu'il était très seul, à la tête d'un petit pays dont l'économie est ruinée. Aussi seul que ça, on ne peut pas tout. Sans compter que :
       2/ Il a aussi remporté quelques belles victoires politiques en interne. Antonis Samaras (qui lui gouvernait pour de vrai avec l'extrême-droite) a dû quitter la tête de Nouvelle Démocratie. C'est pas si mal.
       3/ Enfin, il ne faut pas oublier dans quel état la BCE a mis les banques grecques, d'abord (avant le référendum) en choisissant de ne pas augmenter le plafond de l'ELA, dans un second temps en décidant de pratiquer une "décote sur les collatéraux", comme on dit. Bref : la mission d'une banque centrale, en principe, c'est de s'assurer que le système bancaire fonctionne de manière fluide, pas de le mettre volontairement en faillite. Draghi n'a pas agi comme un banquier central. Il a fait de la politique, une fois de plus et comme le dit parfaitement Philippe Legrain. Ce n'est pas son rôle. Mais voilà à quoi on arrive lorsqu'on met en place une banque centrale fédérale sans Etat fédéral : elle est en roue libre.  
 
3/ Quoiqu'il se produise dimanche, accepter de regarder l'avenir avec optimisme

La Grèce, c'est 2% du PIB de l'eurozone. Mais derrière vient l'Espagne, qui a son Podemos, qui a ses élections générales en novembre, et qui est la quatrième économie de la zone. Avec l'Espagne, si Podemos arrive au pouvoir, les Bruxellois auront fort à faire. Or pour que les Espagnols votent pour Podemos, encore faut-il qu'ils n'assistent pas à un Grexit sauvage suivi d'une tempête sur l'économie grecque : ça décourage ! Là, ce qu'ils ont vu, c'est qu'un petit pays peut résister très fort. Alors un pays de la taille du leur, vous pensez....
 
En conclusion : c'est loin d'être fini. L'Histoire avance à petits pas mais elle avance, pour la première fois depuis longtemps. Là, elle a fait un grand bond grâce aux Grecs courageux : chapeau à ce peuple étonnant.
En revanche, il faut sans doute réfléchir à l'incompatibilité suivante : Tsipras avait promis d'en finir avec l'austérité, de rétablir la démocratie et de demeurer dans l'euro. On voit maintenant assez clairement que c'est la quadrature du cercle.
Or comme on ne peut ni accepter l'austérité pour toujours, ni en finir avec la démocratie... on voit ce qu'il nous reste à faire. Au boulot !
 
 

jeudi 9 juillet 2015

Au sujet de la Une du Point sur les charlatans contre l'Europe






Juste quelques mots. Pour ce qui me concerne, je trouve cette Une un peu tiède. J'aurais préféré un truc du genre : " Les charlatans qui s'allient avec les populistes qui s'allient avec les nationalistes qui s'allient avec les protectionnistes qui s'allient avec les rouges-bruns qui s'allient avec les Arabes qui s'allient avec les musulmans qui s'allient avec les fonctionnaires qui s'allient avec les assistés qui s'allient avec Poutine pour détruire L'Europe - un combat historique".
 
Sinon, j'ai un ami qui s'interrogeait assez judicieusement sur un réseau social ce matin. Dans la mesure où Le Point défend désormais les mêmes idées qu'Arnaud Leparmentier dans Le Monde ou Jean Quatremer dans Libération, peut-on dire que c'est devenu un journal de centre-gauche ? La question mérite d'être posée.
 
En tout cas, on découvre là une sorte de paradoxe : il existe une forme de "populisme européiste". Le Point, c'est une sorte de Bild à la française, mais en version supranationale.
 
Etrange époque décidément....


 

lundi 6 juillet 2015

Refuser de payer pour les Grecs ? On a bien payé pour l'Allemagne....






« Nous ne voulons pas payer pour les Grecs ! ». Après la brillante victoire remportée par Alexis Tsipras hier soir, les obsédés du porte-monnaie sont de retour, et ils sont bien décidés à se faire entendre. 

Au lieu de saluer le courage, l'aplomb, le talent de cet homme de 40 ans que l'on disait pourtant inexpérimenté, au lieu de se réjouir du retour de la démocratie et de l'espérance qui se présentent à nouveau, main dans la main, sur le seuil de la vieille Europe et qu'ils ne savent pas reconnaître tant il y a longtemps qu'on ne les avait vues, au lieu de remercier les Grecs d'avoir parcouru seuls, depuis six longs moins, un chemin de ronces qu'ils ont défriché pour nous tous, les « près-de-leurs-sous » préfèrent se demander si et quand ils paieront. Et surtout, combien : 650 € par Français ? 780 € ? 1128 € ? Qui dit mieux ? Et pourquoi pas 1128,76 € ? Après tout, plus il y a de chiffres après la virgule, plus ça fait sérieux....

Comment ne réalisent-ils pas, tous ces forts en calcul, que s'ils paient un jour, ce ne sera pas pour les Grecs mais pour une poignée de grandes banques, vers les poches desquelles la Grèce a surtout servi d’entonnoir, notamment en 2010 ? Comment ne voient-ils pas que, plus que la Grèce, ce sont des politiques européennes stupides qui nous coûtent cher, en nous condamnant pour des lustres à une croissance nulle ? Comment ne s'aperçoivent-ils pas que cette panade économique est nuisible à tout le monde : aux Français, aux Grecs, aux Espagnols, aux Italiens …. aux Allemands

Pourquoi n'ont-ils rien dit, enfin, quand nous payions pour l'Allemagne ? Peut-être n'ont-ils rien vu alors ? Peut-être ont-ils oublié ? Il faut dire que ça date d'il y a 25 ans. On va donc leur rappeler. 

Nous sommes au début des années 1990 et l'Allemagne se réunifie. Elle fait pour cela de gros efforts. De très lourds transferts budgétaires (environ 1300 milliards d'euros) sont effectués, un impôt spécial est mis en place, le Soli. Le processus de réunification, cependant, n'a pas que des inconvénients. Il a quelques retombées économiques positives en l’Allemagne, cependant que les pays riverains n’héritent quant à eux que des effets négatifs. La chute du mur, par exemple, génère une hausse de la demande intérieure du pays. De celle, d’abord, des consommateurs est-Allemands, favorisée par le taux de conversion de « un pour un » (un Ostmark pour un Deutschemark) choisi par le chancelier Kohl. De la demande, ensuite, liée aux investissements publics indispensables pour remettre à niveau l’ancienne RDA. 

Problème : ce processus de hausse de la consommation est inflationniste, le comble de l’horreur pour un pays qui en a la phobie. Immédiatement, la Bundesbank prend des mesures pour enrayer le phénomène. Elle fait grimper ses taux pour éviter la surchauffe de l'économie. 

C'est là que les choses se compliquent pour le reste de l’Europe. Celle-ci, pour sa part, se trouve dans une situation exactement inverse : son activité ralentit,  l'inflation y est faible. La dernière chose dont elle ait besoin est une hausse des taux. Hélas, la marche à l’euro a déjà débuté, et nécessite que les monnaies restent soudées les unes aux autres, ou, plutôt, que toutes restent arrimées au Deutschemark. Qu’à cela ne tienne : les Européens, France en tête, s’alignent sur l’Allemagne. Leurs taux d’intérêt grimpent, provocant un résultat sans appel. Le continent s’enfonce dans la crise. Au dernier trimestre 1992 et au premier trimestre 1993, en France, la récession fait son retour pour la première fois depuis 1975. C'est là la rançon, pour les partenaires de l’Allemagne, de l’unification de celle-ci.  

Pour finir, une fois n'est pas coutume, laissons le mot de la fin à.... Jacques Attali. Sur son blog, il écrivait en 2009 : 

« Il faut dire à l'Allemagne quelques vérités, au nom de l'avenir de l'Europe (…) La réunification a été payée non par les Allemands, mais par leurs partenaires, en raison de la parité choisie entre les deux marks, qui a conduit à un énorme transfert de richesses des autres pays européens vers la nouvelle Allemagne. Enfin, l'euro n'est pas le produit de la réunification ; il est le dernier héritage de la dynamique européenne précédente. Tout ce qui a suivi peut se lire comme le résultat d'une stratégie allemande entêtée de dissolution de l'union dans un ensemble flou, avec un nombre de pays membres de plus en plus élevé et des institutions de plus en plus faibles, autour d'un mark renommé euro et avec des relations internationales de plus en plus tournées vers l'Est. Une Allemagne de moins en moins bavaroise et de plus en plus prussienne. Une Allemagne qu'une crise économique devenant plus sévère pourrait conduire au protectionnisme, au nationalisme ». 

Précisément, nous en sommes là.