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lundi 17 juin 2013

L'Europe en l'an 2022 : faut-il pleurer ou faut-il rire ?

 


«  Il y a du consentement dans le sourire, tandis que le rire est souvent un refus », affirmait Victor Hugo. On rit à la lecture de L’insurrection de Pierre Lévy. De ce rire large et franc qui veut dire « non ».
 
L’ouvrage - préfacé par Jacques Sapir - est une fiction. Un roman d’anticipation politique qui nous propose de parcourir « l’Europe à l’aube de l’an de grâce 2022 ». Une Europe devenue FEU (fédération de l’Europe unie), dirigée par l’AISE (autorité indépendante de stabilité européenne), au sein de laquelle officient d’anciens élèves de l’EPEG (espace pédagogique européen de gouvernance) sévissant également auprès de la CEPDS ou membres de CCTV.
 
D’entrée, les sigles fusent. Avec excès, croiront certains. Pourtant, qui a pu observer de près les arcanes de l’administration française àl’heure de la RGPP (révision générale des politiques publiques) éprouvera immédiatement un sentiment de familiarité. Orwell était en deçà de la réalité lorsqu’il décrivait le « novlangue ». Pierre Lévy colle à ce réel kafkaïen avec lucidité et drôlerie, mettant en exergue le ridicule définitif du jargon « techno », et brocardant dans un même élan les expressions toutes faites de la pensée molle écolo-boboïde.
 
Dans ce Meilleur des mondes où règnent enfin « tolérance », « efficience », « bonne gouvernance » et « éco-citoyenneté », tout est fait pour préserver les « Droits de l’homme », c'est-à-dire « le libre marché, la libre concurrence, le libre échange, la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes ». Dans ce cadre, le « crime contre la stabilité économique » est vigoureusement puni, passible de lourdes peines devant le TVV (Tribunal Vivendi-Véolia).
 
Justice privatisée, salariés qui paient pour occuper un emploi, élections remplacées par des sondages ou qui, lorsqu’elles ont lieu, peuvent donner lieu à des « revotes » tant que leurs résultats ne sont pas satisfaisants, droit de grève cantonné à l’inscription sur le site web « jesuisengrève.com », les descriptions cocasses se succèdent à un rythme effréné, au point qu’on en oublie presque les personnages, aussi évanescents que l’indique leur prénoms dignes des pires séries télé : Dylan, Samantha, Cindy…
 
L’intrigue semble ainsi parfois un alibi, et Lévy chiade le décor davantage que le scénario. Avec une insistance où d’aucuns verront peut-être l’excès militant d’un auteur que l’on qualifiera de « souverainiste de gauche ». Mais peut-on vraiment parler d’excès lors qu’à chaque instant, la réalité s’emploie à dépasser la fiction ?
 
La Grèce expulsée du club des pays développés pour redevenir un « pays émergent », le FMI – et la Troïka – demandant à un État-membre de procéder à un suicide économique méthodique, puis déclarant finalement : « oups, en fait on s'est trompé », le président de la Commission européenne ne se retenant même plus d’injurier la France en le qualifiant de « réactionnaire » : ce ne sont pas là des élucubrations de romancier. C’est la réalité de cette Europe qui s’effiloche et dont les convulsions macabres devraient tirer des larmes à ceux qui ne prennent pas, comme Pierre Lévy, le parti d'en rire.
 
Finalement, la Construction européenne reste un objet mal connu. On ignore parfois sous quel angle l’aborder : histoire, philosophie politique, droit des institutions, économie... La complexité d’un édifice qui s’est construit de manière brouillone et sans fil directeur, le caractère techno-éco-politique de l'ensemble, décourage trop souvent les curieux. C’est regrettable, tant il est vrai que notre avenir se joue désormais, pour une large part, au niveau européen.
 
Le livre de Lévy a cet avantage : la satire produit un effet de loupe. On saisit vite les enjeux de cette Europe en crise. On appréhende les dérives. Celles déjà advenues et celles, probables, à venir. L’insurrection est donc une lecture indispensable à ceux qui refusent de s'éveiller, un beau matin, dans le monde qu'il décrit.
 
Lire et relire sur L'arène nue :
"Les Français ont été les cocus de l'Europe", entretien avec JM Quatrepoint CLICK
Europe : est-ce vraiment l'Allemagne qui paie ? CLACK
J'ai lu un édito eurosceptique dans Le Monde CLONCK
Faut-il en finir avec l'Europe ? CLOUCK
Au Portugal, un livre anti-euro fait un tabac CLECK
"L'Allemagne est une poule qui aurait trouvé un couteau", entretien avec G. Duval  CLYCK

1 commentaire:

  1. Mardi 18 juin 2013 :

    François Leclerc écrit :

    il n’est pas inutile de lancer un pavé dans la mare, comme vient de le faire le quotidien financier français « Les Échos ». L’ensemble des structures de défaisance (bad banks) créées en Europe depuis le début de la crise logerait actuellement, selon ses calculs, environ 1.000 milliards d’actifs douteux ou illiquides (invendables). L’hypothèse d’une bombe à retardement est évoquée par un journal qui ne verse pas dans les titres à sensation en règle générale.

    Quel est en réalité le choix qui se profile, que les débats en cours n’explicitent pas ? Il n’y a à terme que deux solutions :
    - soit les États porteront la charge financière de ces pertes,
    - soit le système financier risquera de s’écrouler si les créanciers et gros déposants sont fortement impliqués, car les banques sont débitrices ou créditrices entre elles.

    On croit dans ces conditions deviner par avance la tournure que ces discussions prennent – le recours aux finances publiques – avec la circonstance aggravante d’une absence de mutualisation de la dette entre les États, ou de son plafonnement si le MES intervient. Ce qui aura comme conséquence d’amplifier les déséquilibres au sein de la zone euro, d’augmenter la dette publique et d’alourdir la charge du désendettement, avec comme seule solution de rallonger encore son calendrier déjà étiré. Ou bien même de rendre insolvables des États, avec comme seule issue de restructurer leur dette. En prenant leurs distances avec le FMI, qui le souligne avec l’exemple de la Grèce, les autorités européennes se voilent la face une fois de plus. Telle est la dynamique dans laquelle nous nous trouvons, si rien ne vient l’interrompre.

    http://www.pauljorion.com/blog/?p=55020

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