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lundi 31 octobre 2011

Europe : un sauvetage tiré par les cheveux.

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Pour Romain Pigenel, tenancier de l'excellent blog Variae, "le déclin de l'Europe se mesure au fait que nous devons faire la quête auprès d'un bonhomme au brushing aussi immonde".


Il y va un peu fort, l'ami Pigenel. On ne fait pas la quête. On invite "nos amis chinois" à placer un peu de leurs colossales réserves en Europe, au lieu de ne les investir que dans le dollar.
En tout cas, une chose est certaine : en ces temps troublés, c'est l'Empire du Milieu qui propose les plus belles raies de côté.


Le sauvetage capilotracté de l'Europe, était quant à lui planifié de longue date par une femme "de tête". En effet, Angela Merkel s'entraine depuis longtemps à couper les cheveux en quatre :


  
Ancêtre de Caroline de Haas pendue à l'ancêtre du téléphone mobile
    


Cependant que la "Chinallemagne", comme dirait l'économiste Jean-Michel Quatrepoint, s'appliquait à sauver notre continent d'une faillite assurée, un certain nombre de "pays émergents" manifestaient  une indifférence pour le moins échevelée :

L'Inde, un "géant" capillairement discret


Eva Morales, héritier capillaire de Bernard Thibault, est lui aussi un syndicaliste révolutionnaire.


Le plus regrettable, dans cette affaire, c'est que, sur le plan  national, l'organisation funeste d'un certain nombre de "primaires", nous a définitivement privés de deux grands leaders potentiels. Car, si nous connaissons tous l'expression "cheveux courts, idées courtes", nous méconnaissons à tort le fameux adage "coupe au bol, idées folles".
 
Tout comme Nicolas Hulot (ci-contre) face à Eva Joly, Martine Aubry n'a vraiment pas eu de bol face à François Hollande




Face à ces innombrables difficultés, que ce soit en politique intérieure ou sur le plan européen, une chose est sûre : un besoin de stabilité et de continuité dans l'action se fait sentir. Pour y remédier, nos valeureux ancêtres Capétiens avaient eu une bonne idée, en substituant à l'élection, l'hérédité. Peut-être aurions nous intérêt à agir de même ?

Le Dauphin et son cadet.
Pour Liliane Bettencourt, amie de la famille Pierre et Jean "le valent bien"


Et puis comme de toute façon, nous serons tous tondus à la Libération....

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vendredi 21 octobre 2011

Chevènement veut réhabiliter le "roman national"


Sortir la France de l’impasse[1], telle est la proposition de Jean-Pierre Chevènement, dans son livre-programme éponyme paru le 5 octobre. Car pour le « Ché », il n’existe qu’une seule façon efficace de « faire bouger les lignes ». « Y a-t-il d’autres moyens, les institutions de la V° République étant ce qu’elles sont, que de se porter candidat ? », s’interroge-t-il.

L’homme a toutefois adopté une façon originale de faire campagne. Après La France est elle finie ? couronné du prix du livre politique 2011, et son ouvrage d’entretiens avec Luc Chatel sur l’école, il signe son troisième opus en moins d’un an.

On connaît les sujets de prédilection du sénateur de Belfort. Adversaire de toujours du « néo-libéralisme », il avait salué la thématique montebourgeoise de « démondialisation ». Mais sa cible principale demeure « l’Europe de Maastricht », cheval de Troie de la globalisation et du capitalisme financier. La construction européenne que nous connaissons souffre en effet de nombreux vices de conception. Avec l’Acte Unique (1986) et la libéralisation des mouvements de capitaux, concession faite à Mme Thatcher pour arrimer la Grande-Bertagne à l’Europe, Jacques Delors fit le choix d’offrir notre économie à la rapacité des marchés.

Autre vice de conception : celui qui présida à la création de la monnaie unique. La zone euro n’étant pas une « zone économique optimale » telle que définie par Robert Mundell, l’usage d’une même devise par des pays dissemblables ne pouvait qu’accélerer la divergence de leurs économies. C’est le cas aujourd’hui, avec une Allemagne forte de ses excédents commerciaux, à laquelle on demande de payer pour sauver des économies dévastées par la crise, en Grèce, en Irlande, au Portugal, et bientôt en Espagne, en Italie, en France. Nous verrons, dans les prochains jours, comment nos dirigeants viennent à bout des contradictions qui traversent le continent et corrodent toutes les solidarités. L’enchaînement des sommets européens et le G20 des 3 et 4 novembre prochain devraient livrer un aperçu des espoirs qu’il demeure raisonnable de placer dans l’eurozone.

Notre auteur, quant à lui, donne un certain nombre de pistes. Pour lui, mettre fin au séisme économique qui secoue l’Europe passe une réforme du fonctionnement de l’euro. On peut choisir de modifier les statuts de la Banque centrale européenne (BCE), afin que celle-ci cesse enfin de lutter contre une inflation qui n’existe plus pour s’attaquer aux problèmes de la croissance et de l’emploi, bien réels quant à eux. En autorisant la BCE à monétiser massivement la dette des pays en péril, peut-être pourrait-on encore sauver la monnaie unique.

Prudent, Chevènement prévoit toutefois un « plan B ». S’inspirant largement des propositions de  Jacques Sapir, il envisage de transformer l’euro en simple monnaie commune, autrement dit en un « panier des monnaies qui le constituerait ». Utilisable pour les seules transactions externes, garantissant des possibilités d’ajustement des devises nationales, ce système permettrait d’accueillir au sein d’une eurozone au fonctionnement souple, nombre de nouveaux Etats, de la Grande-Betagne aux pays de l’Est.

Le bilan de l’ancien ministre sur l’Europe repose finalement sur un constat : si celle-ci ne fonctionne plus, c’est parce qu’elle fut initialement construite dans une optique fédéraliste de mauvais aloi. Il s’agissait d’effacer l’idée de « nation », trop vite assimilée à sa pathologie, le nationalisme. Il y avait, chez les Pères fondateurs, une bonne dose de cet « antinationisme » diagnostiqué par Pierre-André Taguieff. Et l’auteur de se désoler : « les élites françaises ont rallié de Gaulle en 1944, mais au fond d’elles-mêmes, elle n’ont jamais repris confiance en la France ».

Le mal était profond, à tel point qu’il sévit encore aujourd’hui. Nos élites ne peuvent évoquer l’idée de nation sans se croire immédiatement contaminées par « l’idéologie française », cette maladie imaginaire inventée par Bernard-Henri Lévy. Ainsi, cependant qu’elles se livrent à une course effrénée à la dilution de la France dans l’Union, elles sabotent le cadre national, celui-là même dans lequel s’exerce la démocratie.

Nous quittons alors les sentiers de l’économie pour découvrir les mille autres dommages générés par cette idée libérale que la nation est un monstre, le peuple une engeance brutale et « lepénisée », et qu’à l’acquisition de droits collectifs, mieux vaut préférer l’exaltation de l’individu atomisé et de sa singularité. « C’est désormais l’individu dans ses identités multiples, qui doit être émancipé, et non plus le salarié dans son rapport à la production » écrivait Laurent Bouvet.

Quant au « lion de Belfort », il voit les effets de cet effacement de la démocratie à l’œuvre partout : naufrage de l’école, abandon des « valeurs républicaines », complaisance envers la doxa antiraciste de médias qui « traquent la liberté d’expression dès lors qu’elle mord sur les lignes jaunes du politiquement correct ».

Ainsi Jean-Pierre Chevènement s’aventure-t-il sur des thématiques hélas désertées par sa famille politique, renvoyant dos à dos le « sans-papiérisme » de gauche et le mythe étriqué de l’immigration-zéro. N’hésitant pas à avaliser les thèses injustement controversées d’un Hugues Lagrange[2], plaidant aussi bien pour le refus du communautarisme que pour le rejet du racisme, il passe en revue tous les impensés de la gauche d’accompagnement : intégration, laïcité sans concession, conditions d’acquisition à la nationalité. Il va même jusqu’à pourfendre le droit de vote des immigrés aux élections locales, ce tronçonnage absurde de la citoyenneté, cette appartenance au rabais.

Finalement, Sortir la France de l’impasse mérite davantage que des ajustements économico-budgétaires à la marge. C’est toute une conception du pays qu’il convient de revoir, en lui réapprenant à s’aimer lui-même, afin qu’il sache se faire aimer de ceux qui le choisissent.

Plus que le « rêve français » qu’il conviendrait de « réenchanter », c’est le « roman national » qu’il faut réhabiliter. Non pour se complaire dans la nostalgie pleurnicharde des chantres du rétropédalage, mais parce que du passé, on ne fait jamais table rase. L’assumer, et même l’aimer est encore la meilleure façon d’envisager l’avenir.


[1] Sortir la France de l’impasse, Editions Fayard, 2011 : sommaire ICI
[2] Hugues Lagrange, Le Déni des cultures, Seuil, 2010.

Lire et relire :
Trois présidentiables au chevet de l'euro  CLICK
Chatel-Chevènement, dialogue autour de l'école   CLACK
Chevènement-Montebourg, pas de divergence sur le fond   CLOCK

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mercredi 19 octobre 2011

Jean « démondialisator » Leonetti, ministre moderne



Remporter une victoire, ce n’est pas seulement gagner une élection. Imposer dans le débat public un concept est assurément une gageure. Exhumer une idée que l’on croyait reléguée au rang de vieille lune et obtenir qu’on en débatte est une belle réussite. Aussi Arnaud Montebourg peut-il se féliciter d’avoir gagné son pari démondialisateur. Si l’on ne sait pas ce que deviendra l’homme, ni quelle sera sa place dans la campagne socialiste, l’avenir du protectionnisme en tant qu’idée est quant à lui assuré.

De cela, on peut être certain lorsqu’on constate que tous, y compris les adversaires politiques de « l’impétrant », se voient contraints de se positionner sur un thème devenu « fashion ». Que Jean-Claude Trichet soit hostile à la démondialisation n’est pas très étonnant. Mais qu’il ressente l’urgence de l’exprimer est loin d’être anodin.

Que dire, dès lors, lorsque le ministre des affaires européennes du gouvernement Fillon se lance dans vibrant « éloge des frontières », et conseille à une poignée de parlementaires éberlués la lecture du livre éponyme de Régis Debray ?

Cette scène n’est ni le fruit d’une élucubration, ni un morceau choisi du dernier roman d’anticipation à la mode. Elle s’est produite au Palais Bourbon le 5 octobre. Jean Leonetti, alors auditionné par la commission des affaires européennes de l’Assemblée y affirma : « l’Europe doit désormais se construire différemment. Elle doit respecter ses frontières (…) dans les échanges commerciaux, la réciprocité doit s’imposer. Nous ne pouvons plus tolérer que certains ne respectent pas les règles sociales et environnementales en vigueur sur le marché européen, et que la réciprocité ne s’applique pas ».

Encore un petit effort, Monsieur le Ministre. A la prochaine audition, rappelez que l’Europe est une association de Nations souveraines, et que cette souveraineté appartient aux peuples. Vous entrerez alors pour de bon dans la modernité.

Lire et relire:
Primaires citoyennes, et si la modernité changeait de camp ?  CLICK
Peuple de gauche, es-tu là ?  CLACK

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lundi 17 octobre 2011

Féérie socialiste et novlangue du progrès



La primaire socialiste s’achève et l’on oscille déjà entre nostalgie et soulagement. Et pas seulement parce que cette séquence politique inédite nous aura familiarisés avec le novlangue du progrès.

Nostalgie, parce que nous nous sommes attachés aux figures de proue de cette « révolution citoyenne ». François, Martine, Ségolène ou Arnaud ont su imposer un « processus résolument moderne » et une « autre façon de faire de la politique ». Dans une optique « collective et participative » visant à « remettre l’électeur au centre du système », ils sont parvenus à susciter « l’implication responsable » de 2,7 millions de français.

Nous éprouvons aussi du soulagement. Faisant mentir les prophètes de malheur, et évitant avec brio « le piège de la cacophonie », les caciques socialistes se sont immédiatement rangés derrière leur champion, communiant dans la joie œcuménique « des idées et des rêves ». Voici donc venu le temps du « rassemblement des forces de progrès ». François Hollande aura besoin de toutes les bonnes volontés pour insuffler au « peuple de gauche » un « désir d’avenir » et une "éthique du dialogue".

En prenant massivement part à la primaire « citoyenne », militants et sympathisants ont en effet exprimé leur volonté de « changer la vie ». Voici donc les socialistes devant un défi historique. Car, comme le disait le généticien Axel Kahn, soutien de Martine Aubry, « réenchanter le progrès c’est le refonder ».

« Quand donc la politique prendra-t-elle en considération l'immense besoin d'amour de l'espèce humaine perdue dans le cosmos ? » se demandait Edgar Morin dans une convulsion poétique. Il semble bel et bien que ce temps soit advenu, ce temps de « l’espérance » et de « la magie du changement », qui sont bien sûr « à réinventer ».


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vendredi 14 octobre 2011

"Le Bloc" de Jérôme Leroy : et si bientôt il fallait faire front ?



La publication de l’étude « Banlieues de la République » dirigée par Gilles Kepel a remis un coup de projecteur sur les « quartiers », comme on les appelle désormais. Outre le chapitre consacré à l’Islam, le travail de Kepel a également porté sur le logement, l’éducation, l’emploi, la sécurité. Dans les quartiers populaires, le fait religieux est prégnant, mais le fait social l’est tout autant.

Imaginons que ce cocktail détonnant provoque des émeutes, comme ce fut le cas en 2005 ? Imaginons qu’un gouvernement de droite, à l’approche d’un scrutin présidentiel qu’il craint de perdre, veuille marquer sa détermination à « lutter contre l’insécurité », et organise une riposte armée. Imaginons qu’il y ait des morts, des centaines de morts, et que le pays sombre dans la guerre civile…

Cela, Jérôme Leroy l’a envisagé dans Le Bloc, son dernier livre. Dans ce roman noir, douloureux mais haletant, un pouvoir aux abois, sans cesse talonné par l’extrême droite et tétanisé par une vague de violence qui le dépasse, fait un appel désespéré au « Bloc patriotique », auquel il propose d’entrer au gouvernement.

Le Bloc patriotique, c'est-à-dire…le Front national. Ici, toute ressemblance avec des personnages ayant existé est parfaitement assumée. On y découvre Agnès, la fille du « Vieux » auquel elle vient de succéder à la tête d’un parti qu’elle travaille habilement à respectabiliser. On y croise aussi, à peine grimés, les avatars de Bruno Gollnisch, de Jean-Pierre et Marie-France Stirbois, et une version féminine de Bruno Mégret, glaçante d’intelligence technocratique et de rationalité.

Mais c’est surtout à la rencontre de deux personnages que nous emmène Le Bloc, deux hommes aussi différents qu’ils sont amis : Antoine et Stanko. Tous deux sont enfermés dans une chambre, l’un dans son intérieur bourgeois, l’autre dans un hôtel miteux, le temps d’une nuit qui n’en finit pas, au terme de laquelle l’un d’eux doit mourir. Chacun laisse alors libre cours aux mille souvenirs qui l’assaillent, tandis que leur parti est aux portes du pouvoir, et que, pour l’un comme pour l’autre, une page se tourne pour toujours. On découvre alors comment chacun des deux camarades est devenu fasciste, par cette série de hasards qui fabriquent une vie, et que l’on accueille bon gré mal gré comme s’ils étaient des choix.

Stanko, c’est le chien de guerre, le patron de la milice interne, ce terrible « groupe Delta », qui ne craint rien ni personne. Il a tellement de sang sur les mains, depuis le premier « bougnoule » tué à l’âge de 14 ans, qu’il en a parfois la nausée. Mais Stanko, c’est aussi le gamin paumé, originaire d’un Nord rongé par la désindustrialisation, le chômage, la pauvreté. C’est l’orphelin de père qui cherche à tâtons, et sans trop en avoir conscience, quelqu’un d’autre à aimer. Lorsqu’il rencontre Antoine, il devient l’ami de chaque instant, le fidèle d’entre les fidèles. Et, parce que sa loyauté ne se dément jamais, on en vient à aimer Stanko, voire à lui pardonner.

Antoine, c’est l’intello, l’ancien khâgneux, le poète à gros bras. Peut-être y a-t-il, chez lui, un peu de l’auteur ? On peut le penser, tant cet amour des livres qui l’anime ne peut être aussi bien décrit que par quelqu’un qui le partage. Les souvenirs d’Antoine, ce sont des souvenirs de bagarres, mais aussi, pour beaucoup, des souvenirs de lectures. Il est le mari d’Agnès, le « prince consort ». Ils partagent tous deux une passion que rien n’a altéré, ni les combats politiques, ni les effets de l’âge, ni même l’absence d’enfant. Et, parce qu’il vit un amour durable et profond, et sait susciter le même amour en retour, on en vient à aimer Antoine, et même parfois à l’envier.

Politiquement, Le Bloc est un livre intelligent, lucide. Rien n’y manque dans la description de cette société où l’on sent que tous les basculements sont possibles, les meilleurs comme les pires. Les pièges tendus par la droite radicale, mais aussi l’attraction fascinée qu’elle exerce sur nous sont présents à chaque page.

Malgré tout, ce livre dérange. Car, on a beau y entrer avec la résolution de n’y point succomber, on se prend d’amitié pour Antoine et Stanko, comme on s’attache aux personnages de tous les bons romans. Et la fin, comme souvent, laisse un peu orphelin. C’est alors que la mauvaise conscience se présente avec ses gros sabots : l’espace de quelques 300 pages, on a communié avec des « fachos ».

Or c’est peut-être là, justement, le coup de maître de Leroy. Ne pas clouer au pilori, mais simplement décrire. Donner à voir les pires travers sans complaisance, mais s’interdire la facilité de taire les qualités. Il serait tellement confortable de découvrir que Le Bloc ne compte dans ses rangs que des bêtes fauves sans foi ni loi ou des robots embrigadés !

Au lieu de cela, on se confronte à des humains, qui savent haïr, mais aussi aimer. Dès lors, on les comprend, ce qui n’oblige en rien à tolérer. Parce que ce ne sont pas des automates, parce qu'ils peuvent donc se tromper, on peut à notre tour les combattre. Sans haine, sans invective, et sans diabolisation. Mais, ainsi qu’ils agissent eux-mêmes, sans état d’âme.

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L'extrême droite n'existe plus ?   CLICK
Biographie : Fourest et Venner versus Marine Le Pen   CLACK
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mardi 11 octobre 2011

Primaires citoyennes : et si la "modernité" changeait de camp ?




Les jours passent, et, avec eux, la surprise engendrée par le résultat du premier tour des « primaires citoyennes ». Pourtant, le « cas Montebourg » ne cesse de passionner, et ses manœuvres pour remplir son rôle de « faiseur de roi » sont étudiées à la loupe. La blogosphère bruisse de mille bruits. Pour certains, le député bressan est le sauveur de la gauche. Pour d’autres, il n’est qu’une baudruche ayant vocation à se dégonfler. Pour les uns, il devrait s’exprimer rapidement en vue du second tour. Pour les autres, il doit laisser libres ses électeurs et se garder de prendre position.

Du chantre de la VI° république, les médias traditionnels font également leurs choux gras. Le Figaro lui-même a cessé pour un temps de moquer l’atonie supposée de la gauche, et se voyait contraint, mardi 11 octobre, de consacrer son édito…à la démondialisation. Le texte contient d’ailleurs quelques aveux navrants. Goûtant à la facilité qui consiste à comparer Arnaud Montebourg à Marine Le Pen, son auteur assure : « l’un comme l’autre veulent faire croire aux électeurs que la France et ses 62 millions d’habitants sont encore souverains et peuvent agir à leur guise ». L’éditorialiste ne maquille même plus sa résignation morbide. Pour lui, notre pays est « une petite patrie », « plutôt déclinante », et n’ayant plus aucune prise sur sa propre destinée.

Mais cette mélopée sinistre qu’on lui sert depuis trente ans, la « petite patrie » semble n’avoir plus envie de l’entendre. C’est le sens du succès de candidat Montebourg. Il n’aura échappé à personne que l’homme bénéficiait du soutien discret mais sincère de Jean-Pierre Chevènement. A la mi-septembre, tous deux s’étaient même affichés à un colloque en compagnie du gaulliste Nicolas Dupont-Aignan. Et même s’il fut très peu question de l’Europe et de l’euro durant les débats du premier tour de la primaire, même si le « démondialisateur » n’a pas encore franchi le Rubicon monétaire, il demeurait le seul « impétrant » socialiste  capable de porter un discours proche de celui des « souverainistes ».

Davantage que le fort taux de participation au scrutin, cette convergence de soutiens improbables vers le "troisième homme" semble témoigner d’une soif de politique qui ne laisse de surprendre dans une « petite patrie déclinante ». Et de politique au sens noble, visant à redonner au peuple son pouvoir souverain, après l’avoir repris aux entités nébuleuses qui le lui ont volé, des marchés aux agences de notation, en passant par la Commission de Bruxelles. Or, pour assouvir cette soif politique, ce désir de réappropriation d’un destin collectif, nombreux sont ceux qui, temporairement au moins, sont prêts à faire l’impasse sur leur appartenance à « la droite » ou à « la gauche ». Le député de Saône-et-Loire a ainsi bénéficié des voix de quelques aficionados du "Ché", de fidèles de "NDA" et des suffrages de mélenchonistes.

Il arrive que par gros temps, le traditionnel clivage gauche/droite cesse d’être opérant. J’en osais déjà l’hypothèse dans les colonnes de Marianne2 il y a quelques mois : « peut-être faut-il tenter l’aventure d’un vaste ‘rassemblement républicain’ qui, faisant provisoirement fi des clivages habituels, réunirait tous ceux qui, de la gauche républicaine à la droite gaulliste, souhaitent rétablir l'autorité de l’État et réorienter la construction européenne ? ». Je me souvenais alors du candidat Chevènement, et de son « pôle républicain », qui avait réuni, le temps d’une campagne présidentielle à l’aube des années 2000, des « Républicains des deux rives ». Le résultat en fut décevant, mais l’histoire s’écrit sur le temps long. En 2002, le fruit était vert. Grâce à l’audace d’Arnaud Montebourg, il a rosi. Une secousse tellurique un peu plus forte que les autres dans l’eurozone, une explosion de la monnaie unique, et aussitôt, il sera mûr.

En attendant le « grand soir » Républicain qui nous fera sortir de l’Europe des traités et entrer enfin dans celle des Nations, on se satisfait avec joie de « petits soirs » télévisés. Car - et c’est en cela que ce scrutin aura été vraiment novateur - des idées ont été imposés dans le débat public, et il sera désormais bien difficile de les en faire disparaître. Pour les évoquer, on invite désormais Nicolas Dupont-Aignan dans des émissions phares du paysage audiovisuel français. Il était d’ailleurs excellent, samedi dernier, dans On n’est pas couché. Et, cependant que le ton devient aigre entre les finalistes de la primaire, Frédéric Lordon, chantre de la démondialisation financière, brille sur le plateau de Ce soir ou jamais, où il partage la vedette avec Emmanuel Todd.

Quelque chose s’est incontestablement passé dans la soirée du 9 octobre 2011. Et cela va bien au-delà d’un simple succès du Parti socialiste. Des thématiques qui furent longtemps moquées, méprisées, voire « lepénisées », sont à présent discutées. Les procès en « ringardise » cesseront peu à peu de produire leurs effets, et n’auront bientôt pour conséquence que de discréditer leurs procureurs. Il se peut même qu’un jour, la « modernité » et le « progrès » viennent à changer de camp. On peut en tout cas se risquer à l’espérer. Chiche !

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Crise : le couple franco-allemand au chevet de ses banques



Au moment où le Royaume de Belgique s’apprête à se doter enfin d’un gouvernement, il se prépare aussi à perdre une banque. Dexia, établissement franco-belge est en effet la « première victime de la crise ».

Est-ce à dire qu’il y en aura d’autres ? C’est ce que le couple Merkel-Sarkozy essaye actuellement d’empêcher. Leur rencontre du 9 octobre à Berlin n’ayant pas suffit à les mettre d’accord, ils se reverront à la fin de ce mois. Sans parvenir à en définir les modalités, les deux leaders se sont toutefois entendus sur un principe : il faut renforcer les banques.

C’est donc reparti pour un vaste plan de sauvetage des établissements de crédit, ainsi qu’on le craignait depuis septembre, alors que s’effondrèrent les actions de BNP Paribas, de la Société générale, et du Crédit agricole.

Pourtant, nos banquiers vivaient dans une insouciance joyeuse depuis les « stress tests » qu’ils avaient brillamment réussi cet été. Réalisés en juillet sous l’égide de l’Autorité bancaire européenne (ABE), et appliqués à 91 établissements de l’Union, ces tests avaient pour objet, de mettre les banques à l’épreuve, et de mesurer leur capacité de résistance à un scénario économique extrême. Il s’agissait de s’assurer que les établissements possédaient des réserves en capital suffisantes pour absorber de gros chocs. Huit banques (cinq espagnoles, deux grecques et une autrichienne) avaient été recalées. En revanche, on s’était chaudement félicité du succès des banques françaises. Que s’est-il donc passé en quelques mois ? L’économiste Jacques Sapir nous apporte ici un début de réponse « les ‘tests de résistance’ qui furent réalisés ont omis dans leurs hypothèses d’intégrer le possible défaut d’un pays de la zone euro ». Voici donc le pot aux roses : le scénario de l’exercice a tout bonnement omis d’intégrer un élément qui s’annonçait déjà comme probable, et dont la gravité pourrait aller bien au-delà des conséquences d’un seul défaut grec. En cas de contagion de la maladie hellène aux autres « PIIGS », rappelons que les quatre principales enseignes françaises sont exposées à la dette italienne à hauteur de…41 milliards d’euros.

Il faudra donc recapitaliser. Par le biais du Fonds européen de stabilité financière ? L’Allemagne ne le souhaite pas et plaide pour que chaque Etat débourse lui-même les sommes dont ses banques auront besoin. La France, en revanche, aimerait avoir recours au FESF, afin de ne pas alourdir sa dette, et de préserver son précieux « triple A ».

Le sauvetage des banques créerait donc de la dette ? Ne nous a-t-on pas dit, au contraire, qu’il enrichissait le pays ? Car non seulement nos établissements ont remboursé l’intégralité des sommes prêtées en 2008, mais, selon le gouvernement, l’Etat aurait également encaissé 2,5 milliards d’euros d’intérêts en contrepartie de son aide. Dans ce cas, pourquoi se priver du nouveau jackpot que constituerait un sauvetage-bis ?

La réponse réside peut-être dans le rapport de la Cour des comptes en date du 20 mai 2010, portant sur « les concours publics aux établissements de crédit ». Dans cette étude, les sages de la rue Cambon conviennent que le soutien de l’Etat a été « utile » et « efficace ». Mais il tempèrent leur conclusion en ces termes : « si les concours publics génèrent des recettes ponctuelles, ils engendrent des coûts permanents ». Et les magistrats de détailler ces coûts, qui vont du surcroît d’endettement souscrit par l’Etat pour financer le plan de sauvetage, aux dotations accordées à l’établissement public Oséo pour soutenir le crédit aux PME, en passant par la décentralisation de certains fonds d’épargne réglementés (livrets A), dont les banques peuvent désormais conserver une partie, alors qu’ils étaient auparavant encaissés par la Caisse des dépôts. Le journaliste Emmanuel Lévy rapporte d’ailleurs ce propos du premier président de la Cour, Didier Migaud : « on est déjà bien content de n’avoir pas perdu d’argent dans cette histoire ».

De fait, et puisque l’Etat refusa d’entrer au capital des banques secourues en 2008, il faudra à nouveau refinancer ces établissements, dont les prêts aux entreprises ne cessent de se réduire, avec un effet récessif qui s’ajoute à celui des plans de rigueur qu’on nous impose. La France et l’Allemagne devront d’ailleurs s’entendre rapidement, une solution devant émerger avec le G20 des 3 et 4 novembre prochain.

Par chance, au pied du mur, on trouve souvent des solutions. Et, s’il est bien évidement que ce pays n’aurait jamais pu survivre sans la mise en place d’une « taxe sodas », demeurons sans crainte : de l’argent, pour les banques, il y en a toujours.

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jeudi 6 octobre 2011

"Chinallemagne" : mourir pour le yuan ou par l'euro ?


Que peuvent avoir en commun deux pays aussi différents que la Chine et l’Allemagne ? Qu’est ce qui peut rapprocher un « émergent » de l’Extrême-Orient, et une vieille Nation industrielle du cœur de l’Europe ? Un géant de plus de 1,3 milliards d’habitants, vendant au monde entier des produits à bas coûts, et un pays de 80 millions d’âmes, ayant construit son succès sur la qualité du made in Germany ?

Les similitudes sont nombreuses, si l’on en croit Jean-Michel Quatrepoint, qui publie un indispensable Mourir pour le yuan [1]. Elles découlent d’un même modèle de développement : un mercantilisme agressif, autorisé par la pratique d’un protectionnisme plus ou moins avoué.

« Protectionnisme » : revoilà ce concept qui divise. Si ses adeptes se font de plus en plus loquaces, ses détracteurs le sont davantage. Comme l’expliquait ici Daoud Boughezala, on ne compte plus les procès en « extrême-droitisation » adressés aux tenants de la démondialisation. Le plus notoirement imbécile fut celui intenté par Raphaël Enthoven, qui grandiloquait récemment en ces termes : « la démondialisation est un symptôme qui se prend pour une solution, c’est une formule magique ». La Chine, comme l’Allemagne, ont dû tomber dans la potion il y a bien longtemps…

Il faut dire que l’un et l’autre pays traînent derrière eux un lourd passé, qu’ils semblent avoir décidé de solder. Plus encore que l’Allemagne d’après la seconde guerre mondiale, la Chine fut durablement affaiblie par la guerre de l’Opium, dont l’auteur nous remémore les détails avec un vrai talent d’historien. Mais depuis Mao, la « renaissance de la nation chinoise » est en marche. Avançant sur deux jambes, le communisme au plan politique et le capitalisme dans le domaine économique, ce grand pays n’aspire qu’à une chose : retrouver son rang mondial. Pour ce faire, il n’hésite pas à utiliser les règles de la mondialisation sans jamais en jouer vraiment le jeu, comme l’explique Jacques Sapir dans La démondialisation [2].

Quatrepoint semble partager l’avis de son confrère. Il considère que les Chinois pipèrent les dés en 2001, en adhérant à l’Organisation mondiale du commerce. Il voit d’ailleurs cette entrée dans l’OMC comme « un évènement éclipsé par les attentats du 11 septembre (…) et qui sera pourtant, lui aussi, ô combien, lourd de conséquences ». Car depuis lors, la Chine « accumule pour acheter le monde ». Elle détient d’ores et déjà des réserves dépassant les 3 000 milliards de dollars.

Tout comme notre cousin germain, dont l’économie est entièrement dédiée à l’exportation, la Chine a développé une économie de type mercantiliste. Le « Vampire du Milieu » [3], n’hésite pas à pratiquer toutes sortes de dumping. Dumping environnemental, bien sûr, mais aussi dumping social, avec le maintien de salaires extrêmement bas en dépit d’une croissance forte, et l’exploitation de nombreux  mingong , ce lumpenprolétariat composé de travailleurs migrants. Pékin pratique enfin un dumping monétaire sauvage. Elle a arrimé sa monnaie au dollar, empêchant ainsi la hausse naturelle que devrait générer  le dynamisme économique. D’ailleurs, la réévaluation du yuan et un sujet tabou pour les autorités chinoises.

Quelles convergences, ici, avec l’Allemagne ? Selon Quatrepoint, ces deux pays possèdent ce qui fait défaut à nombre de Nations occidentales : une véritable stratégie économique. Ils ont en partage une démographie atone, qui les contraint à accumuler d’impressionnantes quantités de réserves, en prévision d’un très prochain « papy boom ». Et si le géant asiatique s’enrichit surtout au détriment des Etats-Unis, notre voisin d’outre-rhin le fait quant à lui sur le dos…de ses partenaires européens.

Du dumping social, en Allemagne ? Certainement. Son modèle « holiste », typique de ce que Michel Albert appelait le « capitalisme rhénan », lui a permis de pratiquer sans heurts sociaux une politique systématique de gel des salaires. Dumping monétaire ? Pas à proprement parler, puisque l’euro interdit toute manipulation des taux de change. Mais l’Allemagne n’en a nul besoin. En effet, si la devise européenne est très surévaluée pour la plupart des économies de l’eurozone, elle demeure sous-côtée par rapport à ce que serait le mark aujourd’hui. Pour Laurent Pinsolle, c’est d’ailleurs l’une des raisons de l’attachement allemand à la monnaie unique : sa désintégration « serait une catastrophe pour Berlin car l’appréciation du mark réduirait les exportations allemandes dans l’ancienne zone euro ».

A Mourir pour le yuan, Jean-Michel Quatrepoint a donné un sous-titre : « comment éviter une guerre mondiale ». Outrancier, sans doute. Mais peut-être l’auteur tenait-il à répondre par avance à ceux qui scandent à l’envi, de manière tout aussi excessive: « le marché libre ou bien la guerre ! ».

Au demeurant, à l’échelle de cette Europe qui nous fut vendue comme la garantie d’une Paix perpétuelle, les efforts récents de l’Allemagne face au drame grec peinent à réparer les dégâts de sa trop longue politique de « cavalier solitaire ». Les forces centrifugent croissent chaque jour, les uns vilipendant « l’égoïsme allemand », les autres le « laxisme grec ». Dès lors, avant de mourir pour le yuan, accepterons-nous, nous, peuples d’Europe, de mourir…de l’euro ?


[1] Jean-Michel Quatrepoint, Mourir pour le yuan, François Bourin Editeur, septembre 2011.
[2] Jacques Sapir, La démondialisation, Seuil, avril 2011.
[3] Philippe Cohen et Luc Richard, Le Vampire du Milieu, Mille et une nuits, mai 2010.

Lire ou relire :
Trois présidentiables au chevet de l'euro   CLICK
Lorsque Jacques Sapir propose la démondialisation   CLACK
Euro : par ici la sortie   CLOCK

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mercredi 5 octobre 2011

Jean-Paul Brighelli : « Le vrai collège unique, il est dans les ZEP… »

Entretien réalisé par David Desgouilles et Coralie Delaume



Coralie Delaume. Cette fin de quinquennat est propice aux critiques du bilan de Nicolas Sarkozy, notamment sur l’école. Que pensez vous d’une évolution telle que l’assouplissement de la carte scolaire ?
Jean-Paul Brighelli : Je ne sais — ou je sais trop — ce que Darwin aurait pensé d’une telle « évolution » : qu’elle illustre à merveille la théorie de la survivance des plus aptes. Une telle initiative n’a pour but que d’assouplir jusqu’à l’écartèlement un système qui était peut-être rigide, mais qui justement se maintenait par sa rigidité même. La carte scolaire pouvait être assouplie, mais par une série de vraies initiatives, visant à recréer de la mixité là où, cités et habitudes aidant, on en arrive désormais à des écoles et des collèges chimiquement purs — purs de tout mélange. Le vrai collège unique, il est dans les ZEP, qui ne rassemblent que les enfants des cités. Et, en même temps, au collège Henri-IV, qui s’acharne à suivre scrupuleusement la carte scolaire du Vème arrondissement — un quartier pauvre de la capitale, comme chacun sait.

CD. Même sévérité sur l’autonomie des établissements, je suppose ?
L’autonomie participe de la revanche girondine sur les étatistes jacobins. On donne du pouvoir — en le saupoudrant — aux Régions, aux départements, aux communes. C’est véritablement l’Education Nationale que l’on émiette ainsi, avec d’arrière-pensées budgétaires, l’Etat se déchargeant sur les niveaux intermédiaires pour gérer ce monstre Education qui lui pèse si fort.
Finalement, assouplissement de la carte scolaire et autonomie, profitent toutes deux essentiellement à l’enseignement privé, autorisé désormais à se gérer comme il l’entend, après s’être implanté où il veut.

CD. Pensez-vous que la « réduction du volume horaire imposé aux enfants », comme on dit, ou la possibilité des « mi-temps sportifs », soit une bonne chose. Peut-on véritablement apprendre mieux en travaillant moins ?
On le peut certainement à haut niveau, parce qu’on a alors appris à travailler. Réduire le volume horaire — mais c’est déjà fait, un sortant de Troisième a eu, grâce à la Gauche et à la Droite, près de 800 heures de Français de moins que son homologue des années 1980, ce sont autant de postes économisés —, c’est forcément en rabattre sur les programmes, diminuer les exigences, modifier en profondeur le tissu social, parce qu’à terme, seuls s’en sortiront ceux qui feront des heures sup’ à la maison, grâce à la bibliothèque de papa-maman.
C’est si vrai que les officines de cours privés fleurissent et prospèrent — en vingt ans, Acadomia est passé de presque rien à plus de 100 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2006.

CD. Avec bien sûr un accès réservé aux plus aisés…
Justement pas ! Ce sont les plus pauvres, souvent, qui se saignent pour y envoyer leurs enfants. Pour les plus riches, pas de souci majeur, et en cas de besoin, ils n’auront pas recours à un étudiant de Licence à l’orthographe hésitante, mais à un agrégé bien rétribué. Et ami de la famille…

CD. L’attractivité du métier d’enseignant semble avoir baissé au point que l’on ne parvient plus à honorer toutes les places au CAPES. Quelles en sont les causes ?
Il y a un fait clair, depuis trois ou quatre ans : en sciences, ce sont les plus mauvais élèves qui se font profs — les autres sont allés en prépas et ont infailliblement réussi une école d’ingénieur qui dans le pire des cas les fait débuter au double du salaire d’un enseignant débutant. En Lettres (au sens large), on assiste à une désaffection des étudiants issus des voies générales, et à une montée en puissance de ceux arrivant des voies technologiques, dont la maîtrise des disciplines fondamentales est plus faible. Ajoutez à cela une féminisation record — près de 90% des profs de Lettres ou de Langues sont des femmes — signe que les sociologues interprètent tous comme une perte de prestige d’une profession vue désormais comme un « second métier » au sein d’un couple. Et c’est si pratique d’avoir le mercredi libre quand on élève des enfants ! Bien loin d’être une chance et une promotion pour les femmes, la féminisation de l’enseignement renforce les stéréotypes — ce n’est pas vrai d’autres professions à forte valeur ajoutée, qu’elle soit financière (médecine, Droit) ou symbolique (l’Armée…).

David Desgouilles. Au-delà de l’image dévalorisée du métier, il y a tout de même la problématique du salaire, relativement faible, proposé aux profs…
La paupérisation des enseignants est le meilleur marqueur de la paupérisation globale des classes moyennes, commencée à la fin des années 1960. Ce qui ne manque pas d’avoir des répercussions politiques — en particulier, la désaffection des enseignants pour la Gauche : en 2007, Ségolène Royal a rassemblé moins de 36% des enseignants. Les autres ont majoritairement voté Sarkozy (15%), Bayrou (25%) et près de 15% des profs ont voté Le Pen ou Villiers — ce que j’interprète comme le résultat d’un sentiment de perte identitaire en tant que classe moyenne. Les profs glissent vers cette semi-pauvreté dont l’extrême-droite fait son terreau depuis l’effondrement du Parti communiste.

Coralie Delaume. Mais alors, comment faut-il s’y prendre pour que la carrière d’enseignant redevienne attractive ?
 Même si les salaires de départ doivent impérativement être réévalués, c’est moins en misant sur la quantitatif que sur la qualitatif que l’on parlera aux enseignants une langue qu’ils comprennent. En repensant complètement les programmes dans le sens d’une plus grande rigueur. En donnant aux établissements des moyens, coercitifs si nécessaire — en imposant pendant un temps la tolérance zéro. En cessant aussi de donner systématiquement raison aux gros effectifs (les parents et leurs rejetons) contre les enseignants. En cessant de démissionner — tout cela supposerait un « plus d’Etat » très improbable. Le reste, c’est effets d’annonces et poudre aux yeux.

CD. « Tolérance zéro »…cela me fait penser à cet ouvrage d’entretiens dans lequel Luc Chatel et Jean-Pierre Chevènement s’accordent tous deux pour restaurer « l’autorité des maîtres »… 
C’est une tarte à la crème ! Et j’ai peur que les deux interlocuteurs ne mettent pas exactement la même chose sous les mêmes mots. La réalité, c’est qu’un maquis de consignes interdit pratiquement toute sanction. La réalité, c’est qu’une avocate vient de sortir un livre proposant aux parents des modèles de lettres de plainte et de récriminations ! De surcroît, quels enseignants sont effectivement formés à exercer une réelle discipline — seule condition pour transmettre les disciplines ? Ceux qui se présentent aux concours de recrutement sont les enfants de la réforme Jospin, du collège unique, du lycée light. Ils n’ont connu que ça. Et ils le reproduisent — en savonnant eux-mêmes la planche sur laquelle on les a installés.

CD. Luc Chatel ne cesse de dire qu’il faut « individualiser » les parcours scolaires. Il est inévitable que les institutions publiques tendent à s’adapter à la société - plus individualiste - qui les environne. Si « individualiser » signifie « aider davantage les élèves les plus faibles », ne peut-on pas envisager que Chatel ait raison ?
L’Ecole forme des individus. Elle les reçoit à l’état larvaire, à l’état de nature — et la nature doit être civilisée, redressée, transformée en jardin… à la française. L’individu, c’est ce qui devrait sortir de l’Ecole — et en prétendant respecter ce qu’ils ne sont pas encore, on lâche les élèves en état de semi-barbarie. L’un des effets à mon sens le plus significatif du libéralisme avancé, c’est qu’il feint de respecter l’individu, pour mieux l’assujettir (à la consommation, entre autres), pour mieux l’abolir. Homo festivus, disait avec un grand sens de la formule Philippe Muray — l’étape qui renvoie Homo sapiens au néant. Qu’ils chantent, pourvu qu’ils paient, disait Mazarin. Qu’ils dansent, pourvu qu’ils consomment, dit le libéralisme mondialisé. Enfin — ce n’est pas une raison pour ne pas se battre. Quitte à y rester. Après les Thermopyles, il y a Salamine et Platées. Après Alamo, il reste toujours la possibilité de remporter San Jacinto.

David Desgouilles. Fin septembre, les enseignants du public et ceux du privé sont descendus dans la rue main dans la main. Une telle unité peut-elle faire avancer les choses ?
Une manifestation n’a jamais rien fait avancer. Les manifs unitaires encore moins que les autres, parce que pour arriver à cette unité, chaque syndicat fait des concessions qui vident l’ensemble de tout contenu réel. En gros, cette fois, les suppressions de postes.

DD. Justement ! Un candidat à la primaire socialiste, François Hollande,  propose de recréer les 60 000 postes que la droite a supprimés…
Alors, quand j’entends cela, je me dis qu’il a pris des leçons chez Pasqua — « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Imaginons un instant que qu’on revienne sur ces suppressions létales. Qui mettrait-on  en face des élèves ? Plus de mille postes prévus au budget n’ont pas été remplis cette année par les jurys de concours, devant le niveau déprimant des candidats !

DD. Les candidats à la primaire socialiste sont-ils tous influencés par l’idéologie pédagogiste ? Qui serait à votre avis le meilleur candidat –ou le moins mauvais- sur le thème de l’école ?
À gauche ? Mélenchon, peut-être — en dehors de questions de représentativité personnelle qui n’ont rien à faire ici. Mais personne au PS. Je me suis expliqué aussi clairement que possible sur mon blog Bonnet d’âne à ce sujet. Je vous renvoie donc à l’article « Etat d’urgence », rédigé début septembre.

DD. Il nous a semblé que vous vous étiez rapproché François Bayrou. Son bilan rue de Grenelle, au cœur des années 90, si funestes pour l’école, ne vous a pas rendu méfiant ?
Au catholique qu’il est — et que je ne suis pas — je dirais « à tout pécheur miséricorde ». Bayrou tient depuis 2007 un discours plus jacobin que tous les autres — c’est peut-être de l’opportunisme béarnais, mais c’est un revirement significatif pour un centriste. C’est la raison pour laquelle tant d’enseignants ont voté et fait voter pour lui il y a quatre ans. Par ailleurs, il commence à apporter des réponses réelles aux questions de politique générale — ma foi, combien le font ? Il a certainement, parce qu’il a mûri, l’étoffe d’un homme d’Etat. Après tout, Chevènement lui-même, que vous encensez l’un et l’autre volontiers, n’a pas été toujours exemplaire quand il a été ministre de l’Education : les « 80% d’élèves au Bac », c’est lui ! On apprend en faisant des erreurs…

Coralie Delaume. Marine Le Pen a organisé le 29 septembre un meeting sur l’école. Elle y a tenu un discours que nombre de « Républicains » ne renieraient pas. Elle a notamment appelé à faire de l’école un « sanctuaire » dont on chasserait les pédagogistes à la Meirieu et les résidus du « jacklangisme ». Que pensez-vous de la mue amorcée sur ces thèmes par le Front national ?
J’ai été approché par le Front National, et j’ai évidemment refusé leurs offres de service, parce qu’un discours sur l’Ecole, quel qu’il soit, n’efface pas un discours sur la sécurité ou l’Europe absolument révoltant de bêtise. Le FN a dragué des chevènementistes…

CD. Ils sont deux. Deux parfaits inconnus.  Ce sont des aventures individuelles…
Peut-être. Mais ils ont cru bon d’utiliser leurs convictions au service d’une femme qui manifestement n’en a pas, à part l’opportunisme. Marine Le Pen s’est fait (ou on lui a fait) une collection de mots à caser dans tout discours sur l’Education, de même dans tout discours sur l’immigration, etc.
Meirieu, lui, est partiellement revenu de ses vieilles lunes — au grand dam de ses affidés, comme je l’explique dans la dernière livraison de mon blog.
Quant à Jack Lang, c’est une antiquité, mais qui marque bien l’encroûtement du PS sur des convictions pédagogiques létales. Manuel Valls vient d’ailleurs d’en remettre une couche dans le même esprit.

David Desgouilles. Outre François Bayrou, donc, voyez-vous dans le spectre politique français d’autres candidats capables de porter un discours sur la conception que vous vous faites de l’école ?
Non, aucun.

DD. Verra t-on un jour Jean-Paul Brighelli en politique ?
Non plus. Je suis un électron libre, et je tiens à le rester. Dans ces temps de mort de l’individu, c’est une forme de luxe, ou de dandysme.

Lire ou relire :
A l'école, moins d'éducation, plus d'instruction   CLICK
Marine Le Pen à l'école de la République   CLACK
Chatel-Chevènement : dialogue autour de l'école   CLOCK

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